Le but premier de l’Etat islamique est de cibler des Français, pas un mode de vie
La simultanéité des attaques et le mode opératoire du commando terroriste qui a fait au moins 129 morts à Paris, le 13 novembre, laissaient peu de doute. La revendication par l’Etat islamique (EI), moins de douze heures plus tard, par un communiqué en plusieurs langues et une vidéo, amplement relayés sur les réseaux sociaux djihadistes, a confirmé l’implication du groupe dans ce que le président français, François Hollande, a qualifié d’« acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié à l’extérieur avec des complices à l’intérieur ».
Après la mort de ressortissants russes dans le crash d’un avion en Egypte, les attentats en Turquie et au Liban, l’EI a voulu frapper au cœur de Paris, présentée comme la « capitale des abominations et de la perversion, qui porte la bannière des croisés ».
Le choix des cibles et des mots – un stade où se trouvait « l’imbécile » François Hollande, une salle de spectacle réunissant « des centaines d’idolâtres dans une fête de la perversité », des cafés – fait de cette guerre contre les « croisés » une guerre de civilisation.
« Vous ne vivrez pas en paix »
« C’est un discours opportuniste, estime Romain Caillet, spécialiste des mouvements djihadistes. C’est une sorte de bonus pour eux que d’attaquer des lieux jugés pervertis. Leur but premier est de cibler des Français, pas un mode de vie. La terminologie est employée pour insulter l’adversaire. »
Le choix du Stade de France tranche même, poursuit-il, avec la logique de l’organisation, qui cherche à épargner les musulmans pour mieux les opposer à leurs concitoyens et les enrôler.
Les frappes contre les musulmans du « califat » autoproclamé d’Abou Bakr Al-Baghdadi, l’insulte faite au prophète Mahomet, et le combat contre l’islam, sont autant de raisons invoquées pour justifier cette première attaque d’ampleur contre la France. « Aussi longtemps que vous nous bombarderez, vous ne vivrez pas en paix », promet un djihadiste, dans une vidéo diffusée samedi. L’armée française a combattu les islamistes au Mali et soutient l’action africaine contre la secte nigériane Boko Haram. Elle a mené près de 300 frappes contre l’EI en Irak depuis septembre 2014, puis en Syrie dès octobre 2015.
« Il y a beaucoup de francophones français ou belges dans les rangs de l’EI. Cela explique la plus grande éventualité d’un attentat sur le sol français », analyse M. Caillet. Selon les autorités, près de 1 000 Français ou résidents en France « sont connus pour être allés en Syrie ou en Irak », dont 588 qui y sont toujours, 142 qui y sont morts et 247 qui sont partis. Nombre d’entre eux animent les réseaux de propagande et de recrutement de l’organisation, d’où ils appellent à attaquer leur pays d’origine. Comme Salim Benghalem, présenté comme le responsable de l’accueil des Français et des francophones à Rakka, en Syrie, visée par des frappes françaises en octobre.
« Méchants et sales Français »
Le passage du djihad local et de la construction du « califat » au djihad global par l’EI, sur le modèle de son concurrent Al-Qaida, remonte, selon Romain Caillet, au début des frappes occidentales en Syrie et en Irak. En septembre 2014, Abou Mohammed Al-Adnani, son porte-parole, avait menacé : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen, en particulier les méchants et sales Français, (…) alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière. » La France, la Belgique, le Canada, l’Australie ou les touristes en Tunisie ont depuis été ciblés par des terroristes se revendiquant de l’EI.
La détermination de la France et de ses alliés à intensifier leur intervention fait espérer, dans les rangs de l’EI, que se réalise la prophétie islamique du triomphe de l’armée des musulmans dans la cité syrienne de Dabiq, où flotte depuis août 2014 le drapeau noir, face à une horde d’infidèles. Mais, alors que la coalition internationale refuse d’envoyer des forces au sol, et que les revers de l’EI se multiplient en Irak et en Syrie, le groupe pourrait accroître ses attaques à l’étranger. « On arrive avec notre armée pour conquérir la France », a menacé, lundi, l’EI dans une nouvelle vidéo, dans laquelle résonne l’appel d’Adnani : « Paris avant Rome et avant l’Andalousie ».